Des transports publics de qualité en milieu rural : c’est nécessaire, légitime, et faisable

Il est de notoriété publique que, en Wallonie en particulier, les transports publics ruraux sont anémiques : certains villages sont desservis par un bus par jour du lundi au vendredi en période scolaire seulement, voire un bus par semaine … ou pas de bus du tout.

Ceci à tel point que certains partis politiques s’en émeuvent, spécialement en période électorale.  Ainsi par exemple le PS propose en 2019 comme objectif de « desservir tous les jours, tous les villages et quartiers de Wallonie.  L’offre en soirée, de nuit et de week-end doit aussi être renforcée ».

L’expérience montre hélas que ce genre de promesses passe difficilement le cap des élections, et c’est là une des raisons de la défiance des électeurs vis-à-vis de la politique.

La nécessité

Il y a d’abord une nécessité sociale : le droit à la mobilité pour tous, indépendamment de l’accès à la voiture individuelle.

S’y greffe une évidence environnementale : une mobilité exclusivement automobile représente une catastrophe pour la planète.

La légitimité

Les transports publics sont financés pour une part par leurs utilisateurs, et pour l’essentiel par les pouvoirs publics, c’est-à-dire les citoyens-contribuables.

Au sein d’une entité donnée sur laquelle s’exerce le service – par exemple la Région wallonne -, les contribuables en milieu rural payent les mêmes impôts que les autres.  Par conséquent ils ont droit à un même retour.

En ce qui concerne les transports publics, le meilleur indicateur est la quantité de service exprimée en bus * kilomètres, ou, en première approximation, en termes de nombres de bus affectés à la région concernée.

Pour la Wallonie (OTW), il s’agit de 95 millions de bus x kilomètres, prestés par 2428 bus.

Pour cette raison une région rurale comme par exemple l’Entre-Sambre-et-Meuse, qui hors banlieue de Charleroi et zone urbanisée le long de la Sambre, rassemble 172.000 personnes sur près de 2.000 km2, a droit à 4,5 millions de bus * km et 116 bus à son service.  Or la réalité est largement moindre en termes de véhicules, et encore infiniment moindre en termes de prestations.  Même si on peut éventuellement se dire que les besoins sont moindres qu’en ville, un tel déséquilibre n’est évidemment pas admissible.

La faisabilité

On justifie volontiers cette situation parce que « les bus roulent vides ».  S’il est vrai qu’en moyenne ils ne transportent pas de grands volumes de voyageurs, on doit quand même comparer ce constat avec le nombre de bus presque vides dans les zones urbaines.  Et dès lors s’interroger sur les causes de cette situation, plutôt qu’invoquer, un peu facilement, la fatalité.

Il est vrai que le potentiel peut paraître moindre en milieu rural, du fait de la faible densité de population qui d’une part facilite l’utilisation de la voiture et d’autre part rend plus difficile l’organisation de transports publics de qualité (proximité et surtout fréquence).

Mais on ne peut pas se voiler trop facilement la face, en négligeant une importante raison de la désaffection des bus en Wallonie rurale : le service offert est parfaitement anémique, non seulement quantitativement, mais aussi qualitativement : le bus qui vous emmène le matin ne vous ramène pas le soir ; d’ailleurs il ne vous amène pas en ville mais vers le village où au XIXème siècle se trouvait un dépôt de tram vicinal à vapeur…  Dans ces conditions il ne faut pas espérer qu’il soit utilisé, sauf par quelques scolaires captifs, que les parents ne se sont pas résolus à conduire eux-mêmes à l’école.

Or la mobilité scolaire ne constitue qu’une petite minorité des déplacements : environ un quart.  Le potentiel est donc ailleurs.

La condition : le service

En ne se focalisant pas uniquement sur la clientèle scolaire on quadruple donc le potentiel des transports publics.

La condition d’une utilisation optimale – maximale – du bus en région rurale est qu’il conduise les gens (et les ramène ensuite !) où ils doivent ou veulent se rendre, quand ils doivent ou veulent y être, pour tous les motifs de déplacement : école, travail, achats, démarches, visites, loisirs…

Partant de ce principe il est possible de définir un service de transport public assurant une mobilité de base comme suit :

Relier
chaque noyau d’habitat (ville et village)
à la ville la plus proche – et si possible les deux villes encadrantes
à des horaires permettant les déplacements domicile-travail non atypiques, les déplacements domicile-école, et l’accès à la ville aller et retour dans la journée et la demi-journée, ainsi que le retour en soirée en fin de semaine.

Complétée par

Relier
chaque ville ou nœud de transport
aux villes régionales et grandes agglomérations encadrantes
par une desserte cadencée horaire en journée plus un parcours en soirée

Le coût

La mobilité de base nécessite 6 passages par jour en semaine (7 le vendredi), 4 le samedi et 3 le dimanche et, par exemple pour une ligne dont le trajet se fait en une heure stationnement compris, l’engagement de 2 véhicules en semaine et 1 le week-end.

Les relations interurbaines nécessitent 17 passages par jour.

On peut voir que pour ce qui concerne l’exemple de l’Entre-Sambre-et-Meuse cette norme de service, infiniment plus généreuse que la situation actuelle, peut être assurée avec le même nombre de bus que ceux qui y sont actuellement affectés.  Il ne faut pas se cacher par contre qu’ils doivent rouler plus (beaucoup n’assurent qu’un aller-retour par jour !).  Il y a donc un surcoût, quoique très loin d’atteindre le montant auquel aurait légitimement droit la population concernée.  En effet, d’abord le surcoût n’est pas proportionnel à l’augmentation du nombre de kilomètres, du fait d’économies importantes sur les temps morts des véhicules et surtout du personnel (aller-retour dépôt et rémunération des heures encadrantes).  De surcroît, il est possible de recourir largement à des véhicules adaptés aux besoins, susceptibles de générer environ 15 % d’économie au kilomètre (sans atteinte au statut du conducteur), ainsi qu’une économie de carburant… et d’émissions polluantes et CO2.  Enfin, un service mieux étudié permettra des économies dans le transport scolaire spécialisé, organisé là où le transport public fait défaut, et représentant des volumes non négligeables en Wallonie.

La crédibilité

S’il est vrai que le transport public rural en Wallonie fait figure de parent pauvre, et fait considérer par beaucoup de responsables qu’il s’agit d’une « mission impossible », la démonstration qui précède mais surtout de nombreuses success stories à l’étranger montrent clairement que ce n’est pas le cas.

Même s’il ne faut pas rêver de transporter en bus la moitié du monde rural, il est tout à fait possible de doubler ou tripler sa part de marché, d’autant qu’elle est actuellement infime.  Ce serait tout bénéfice pour les intéressés comme pour la planète, mais aussi pour l’exploitant qui pourrait donc voir doubler ou tripler son trafic… et pour le responsable politique qui en serait l’initiateur !

La responsabilité

En effet,

Il s’agit d’une responsabilité politique :
définir le service public, c’est-à-dire le cahier des charges d’un transport public répondant à des normes de service adéquates,
et donner à l’exploitant – si possible le moins disant – les moyens de sa politique

… comme cela se fait couramment à l’étranger.

 

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