Après la dernière guerre, la reine automobile a pris son envol et, pour cela, toute la place dans l’espace public. Pour cette raison, on a jugé bon d’éradiquer de nos voiries le tram, cet objet du passé, ringard, obsolète, et surtout qui « encombrait ».
Avec une exception notable dans les pays germaniques, ils y sont presque tous passé : en France, en Angleterre, Espagne, Italie, … En Belgique, à la frontière des mondes germanique et latin, on a fait en toute logique les choses à moitié : beaucoup de réseaux ont disparu – Liège, Verviers, Charleroi (les latins), les vicinaux dans tout le pays sauf à la mer, tandis qu’à Bruxelles, le réseau s’est notablement contracté, sacrifié sur l’autel du métro adoubé, lui, par les automobilistes.
Là où les trams ont le mieux résisté, ils se sont modernisés, allant jusqu’à se métamorphoser en « métros légers ». Pour l’essentiel, il s’est agi d’installer des sites propres et autres voies réservées, voire de placer certains tronçons jugés problématiques en souterrain. On parle alors volontiers de semi-métro, sauf à Bruxelles où on s’obstine à utiliser le vocable peu porteur de « prémétro », insistant par là sur le fait que les trams ne sont que provisoirement autorisés dans les nobles tunnels, destinés à un noble métro. Charleroi a vu une évolution atypique, supprimant son immense réseau de tram au profit d’un embryonnaire « vrai » métro, c’est-à-dire entièrement hors voirie à un petit tronçon près pour rejoindre le dépôt, puis s’est ravisé en branchant une ligne de vrai tram sur le réseau.
En France, on a au contraire remis en vogue le terme de tramway (ils insistent sur le -way), utilisé pour de vrais trams modernes mais aussi mis un peu à toutes les sauces pour désigner des véhicules sur pneus, avec un rail de guidage réel ou virtuel.
Mais le tram d’antan, se faufilant dans les rues étroites au milieu des voitures, qu’est-il devenu ?
On n’a eu de cesse de le combattre souvent à mort, mais il en est quelques-uns qui ont survécu. Par exemple à Anvers le 12, à Bruxelles le 55 et le 81, et quelques autres ailleurs, à commencer par les mythiques trams de Lisbonne (mais eux sauvés comme attraction touristique).
Ils continuent de sillonner quelques rues, pas trop vite, un peu chaotiquement à cause surtout de l’indiscipline des automobilistes. Pas trop vite c’est disons 15 km/h de moyenne alors que les trams « chrono » de la stib, en tunnel et site propre quasi intégral, paradent à 18 (mais le métro léger de Stuttgart, essentiellement en surface, atteint 27). Sur les petits cinq kilomètres, trajet moyen des usagers bruxellois, ça fait trois minutes de différence. Comparé au métro ça ferait 9 minutes, dont il faut décompter le temps de marche pour atteindre les stations, plus espacées, y descendre et en remonter, et gérer les correspondances qu’une ligne de métro isolée génère. Autant dire que, oui, les trams de quartier transportent les gens plus vite que le métro.
Mais ils ont encore aux yeux de leurs détracteurs un inconvénient majeur : ils transportent beaucoup de gens. Ça irrite, parce qu’on se rend compte que leur suppression éventuelle suscitera(it) beaucoup de colère. À Anvers, quand, après quelques dizaines années de tunnel fantôme, on a enfin mis en service le métro sous la Turnhoutsebaan, il a fallu comme concession à l’opinion conserver le tram qui passe juste au-dessus. À Amsterdam, où un temps on a mixé tram et métro sur une ligne commune, le métro en a in fine été supprimé.
Mais au-delà des opinions, quelle est la logique ? Les « trams de quartier » ont-ils un avenir ?
Sont-ils utiles ? C’est la première question à se poser. Une réponse, empirique mais bien réelle, est à trouver dans leur succès. Une explication objective vient de leur accessibilité : arrêts à niveau, au bord du trottoir, à côté des maisons, écoles, magasins, etc, sans obliger à une marche sous terre parois longue ; distance entre arrêts raisonnable, facilité d’accès et d’usage donc.
Mais pourquoi pas des bus ? On observe systématiquement à chaque remplacement d’un tram par un bus une diminution significative de clientèle. Et vice-versa d’ailleurs quand on remplace un bus par un tram. Ceci est une réponse.
Peut-être les trams roulent ils quand même mieux – ou moins mal – que les bus de substitution. À Bruxelles par exemple, avenue Georges Henri, les trams classiques, en voirie, ont été remplacés par des bus qui, du fait de leur largueur, peuvent à peine croiser et doivent s’arrêter pour laisser passer celui d’en face. Quant au confort, y a pas photo.
Donc oui, au vu de son succès d’une part, de sa relative qualité d’autre part, un tram classique, en voirie, dans une rue pas très large, peut se justifier. Bien sûr il faut quand même lui donner des conditions de circulation convenables, mais avec un peu de bonne volonté, c’est faisable, comme d’ailleurs on peut le voir dans quelques cas bien aménagés, même à Bruxelles.