Une ville pour ses usagers
Il fut un temps où, poussé par une logique venant des Etats unis, on avait décidé que la ville était au service de ses automobilistes (et de ceux de la banlieue environnante). Depuis lors, fort heureusement, sous la pression de ses habitants, les aménageurs sont quelque peu revenus sur cette idée pour le moins suicidaire. S’en sont suivis des aménagements plus orientés vers les êtres humains qui peuplent et qui fréquentent la ville. À Bruxelles, une des dernières manifestations de ce revirement est la piétonisation d’une petite partie des boulevards centraux. Ouf, enfin, serait-on tentés de dire : le cœur de la capitale de l’Europe pouvait difficilement rester éternellement coupé en deux par une saignée routière – jusqu’il y a peu à quatre bandes de circulation : il fallait donc faire quelque chose.
Pourtant, ce nouveau piétonnier est autant décrié qu’encensé. Passons sur les aménagements de voirie, lamentables : on nous assure que ce n’est que du provisoire, et on veut y croire.
Arrêtons-nous sur les récriminations des commerçants : leur réaction est archiclassique, ils ont vu disparaitre quelques places de parking et quelques voitures, on ne leur retire pas de l’idée qu’une voiture en moins signifie pour eux la faillite inéluctable. Lorsqu’on voit le succès commercial des nombreuses initiatives de piétonisation avec tram menées ces dernières décennies en France, on se permet d’en douter, mais encore faut-il les convaincre, ce qui typiquement se fait avec le temps. Mais sous la sacro sainte « place de parking », qui au demeurant ne manque pas à Bruxelles, les parkings publics affichant tout sauf complet, se cache la question de l’accessibilité, pertinente s’il en est. En effet, si quelques voitures apportent bien quelques clients, la réponse pour les commerçants à leur suppression réside bien en les alternatives à offrir. C’est ce qu’on a compris en France (notamment), où les nouveaux trams amènent beaucoup plus de chalands que les quelques voitures. Hélas à Bruxelles rien n’a été fait en ce sens. Point de nouveaux trams, mais en plus la plupart des lignes d’autobus existantes ont été évincées du centre ville, avec des terminus éclatés en périphérie, supprimant toute relation entre elles : qui au milieu du boulevard Adolphe Max, près de la place Rogier, qui à la gare centrale, ou encore à un nouveau terminus pompeusement appelé Grand place bien à l’écart de la Grand place. Vu que les transports en commun apportent beaucoup plus de monde que les voitures, on a sérieusement réduit l’accessibilité du centre de Bruxelles.
Le succès du piétonnier dépendra pour une bonne part de la résolution de ce problème, avec en première instance le rétablissement des lignes d’autobus supprimées au centre, à faire suivre par une initiative plus ambitieuse de rétablissement de lignes de tram – plébiscités par les usagers et plus respectueux de l’environnement (bruit et pollution) que les voitures et les bus. Des projets existent de (re)tracer une ligne de tram descendant de la rue Royale vers le Bourse et continuant sur la rue Antoine Dansaert (voir notamment la Cityvision). Alors Bruxelles entrera enfin dans le XXIème siècle.