Supplique pour une gestion publique efficace

Les finances publiques vont mal, très mal.  En Belgique et encore plus à Bruxelles.  Tout le monde le sait.

Il faut donc faire des économies.  Incontestable.

On craint dès lors des coupes sombres dans les services publics.  Logique, du moins à première vue, si on ne veut pas se mettre à réfléchir, le cas échéant se remettre en question.

Pourtant les coupes sombres sont parfaitement évitables.  Tout simplement en y substituant une recherche d’efficacité, d’efficience.  Il suffit de vouloir.

En effet, les services publics sont peu efficaces, parfois très peu efficaces.  Il est donc possible de faire mieux, parfois beaucoup mieux, avec les moyens disponibles, même en baisse.

Pour couper les ailes au « yaka », quelques exemples, présentés plutôt sous forme de suggestions de bonnes pratiques que de simples critiques, pour montrer que mieux est possible.

  • Transports en commun : une utilisation optimale des Ressources humaines

La main d’œuvre coûte cher.  En outre, dans certains domaines, notamment les transports, elle est parfois en pénurie ; raisons pour l’utiliser au mieux.  Pour rouler, un train a besoin d’un conducteur.  Les accompagnateurs, en Belgique parfois au nombre de deux, voire plus, n’apportent qu’une valeur ajoutée relative, surtout s’ils passent le trajet invisibles, par exemple par peur de se faire agresser (dans cette situation ils n’assurent pas non plus la sécurité de voyageurs).  En Allemagne par exemple de nombreux trains roulent avec le seul conducteur.  On n’a pas connaissance que ça pose problème.

A l’inverse, le paroxysme en matière de recherche d’efficacité en ce domaine consiste à faire rouler les véhicules sans conducteur.  Sans contexte une prouesse technologique, éprouvée pour les métros, un peu moins pour les véhicules routiers, il n’est pourtant pas certain que l’efficacité soit au rendez-vous ; ainsi, à Lille, réussite technique incontestable, il a fallu engager des dizaines de vigiles pour assurer la sécurité mise en berne par l’absence « humaine ».  L’intérêt et en fait de permettre un intervalle très réduit entre les trains, assurant une grande capacité de transport, à retenir donc là où celle-ci est utile, par exemple sur la ligne 1 du métro parisien.  Ailleurs se pose la question de l’efficacité énergétique.

Une autre dimension de l’efficacité des transports en commun en matière de ressources humaines : s’assurer que les prestations des agents sont bien utiles aux usagers.  Ainsi par exemple un bus ou tram qui stationne vingt minutes après avoir roulé un quart d’heure – cas fréquent à Bruxelles par exemple – n’est pas le meilleur exemple.  Etant entendu qu’il faut un temps de régulation entre deux trajets, aussi pour assurer une pause au conducteur, il faut aussi rester raisonnable.  La faute notamment aux lignes trop courtes – nombreuses à Bruxelles -, qui par définition arrêtent le bus à peine démarré.  Les exemples du train Arriva Liège – Maastricht ou du tram de Lille nous montrent une tout autre approche.

  • Maximiser l’utilisation des infrastructures

La Belgique dispose de plus de cent mille (100.000) kilomètres de routes.  Sur lesquelles roulent chaque année plus de cent milliards (100.000.000.000) de véhicules-kilomètres.  OK ; mais ça ne fait quand même en moyenne (à la grosse louche) qu’un véhicule par minute dans chaque sens : il reste beaucoup de place sur la grande majorité des rues et routes.  En particulier en ville, où l’espace est compté et les utilisateurs, aussi autres que les automobilistes, sont nombreux, un partage plus conforme à l’intérêt général s’impose, via une généralisation des zones de partage sur toutes les rues à vocation locale.

A l’inverse, certaines autoroutes sont saturées, notamment à l’approche des grandes villes.  Alors que pour une bonne partie du réseau les trois bandes de circulation constituent surtout un facteur d’insécurité routière parce que facilitant les excès de vitesse, à l’approche des grandes villes aux heures de pointe la situation est tout autre.  Là on doit certainement se pencher sur l’efficacité en termes de transport et mobilité des personnes plutôt que des véhicules.  En pratique, plutôt que de sacrifier la bande d’arrêt d’urgence au mépris de la sécurité, la troisième bande devrait systématiquement être réservée aux véhicules efficaces : bus et cars, voitures avec minimum trois personnes à bord (encourageant ainsi le car pooling, marginal actuellement).  Parallèlement les exploitants de transports en commun devraient en profiter pour organiser une offre séduisante en termes de fréquences et de relations (un bon exemple, le du TEC sur l’E411 ; il faut pourtant renforcer sérieusement une telle offre, spécialement sur les itinéraires qui ne sont pas correctement desservis par le rail.)

Autre problématique : les voitures particulières, qui parcourent en moyenne 15.000 km par an, stationnent 95 % de leur vie, et occupent pour cela dix mille hectares de notre territoire : ce n’est pas rien, surtout en ville, vu la valeur du terrain.  Confortant une tendance croissante quoiqu’encore timide, un recours beaucoup plus systématique aux taxis et surtout aux voitures partagées est susceptible de soulager une telle situation.

Et un canard à qui il faut tordre le cou : les parkings de transit à l’entrée des villes, voire pire (la SNCB en met dans les grandes gares urbaines !).  II s’agit d’amener les gens en voiture aux entrées de ville aux abords d’une station de train ou de métro pour les y embarquer.  Quand on sait qu’il faut un hectare de parking en ville pour ranger les voitures nécessaires à remplir une seule rame de métro ou de train, on situe immédiatement l’aberration.  Des parkings vélo sont évidemment beaucoup plus efficaces.

Pour en revenir au rail, « potentiellement » efficace, l’utilisation de l’adverbe est intentionnelle : il y a beaucoup à redire, spécialement du fait qu’on se retranche systématiquement sur le manque de capacité pour ne pas faire rouler de trains (le RER par exemple).

Le RER de Bruxelles en effet : l’infrastructure ferroviaire qui comprend quatre voies sur toutes les lignes à l’exception de deux d’entre elles (six voies vers Malines), permet depuis des années la mise en service d’un RER digne de ce nom, avec un train tous les quarts d’heure.  On ne le fait pas.

En dehors de Bruxelles l’infrastructure ferroviaire  présente peu de problèmes de capacité : il suffit d’un peu de bonne volonté dans la gestion des sillons.

Le rail peut même servir aux dessertes rurales, en rétablissant et multipliant les arrêts pertinents, à desservir à l’aide de matériel léger genre « schienenbus » ou train-tram, qui permet de grandes performances en consommant beaucoup moins d’énergie que les lourds trains de la SNCB.

  • Une utilisation optimale des véhicules 

Autres problématiques, portant sur les véhicules.

Les voitures particulières, qui parcourent en moyenne 15.000 km par an, stationnent 95 % de leur vie, et occupent pour cela environ dix mille hectares de notre territoire : ce n’est pas rien, surtout en ville, vu la valeur du terrain.  Confortant une tendance croissante quoiqu’encore timide, un recours beaucoup plus systématique aux taxis et surtout aux voitures partagées est susceptible de soulager une telle situation.

Le car pooling apporte aussi sa petite contribution (cfr supra), mais il ne faut pas en surestimer le potentiel, bridé par les non-similitudes de parcours dans l’espace et dans le temps, et, il faut bien l’admettre, vu le pays très en retard mentalement où « ma voiture c’est ma liberté ».  Les mesures de faveur sur les autoroutes pleuvent cependant encourager la pratique.

Dans les transports en commun, il est aussi important que les véhicules roulent pour servir les gens : un bus au dépôt coûte et ne sert à rien.  Combien n’y a-t-il pas en Wallonie de bus qui sortent du dépôt, roulent jusqu’à la tête de ligne, font un parcours unique pour quelques écoliers, puis rentrent au dépôt, parcourant plus de kilomètres inutiles que de kilomètres utiles ?  Le principe d’horaires cadencés au long de la journée est beaucoup plus productif, permettant aux non-écoliers (beaucoup plus nombreux) de se déplacer.

Les nombreux bus quasi vides même aux heures de pointe, par exemple dans une grande ville comme Bruxelles, posent aussi question : n’y a-t-il pas moyen d’optimiser leur usage ?  La réponse est à trouver dans les itinéraires : ces bus desservent souvent quelques arrêts mais ne mènent nulle part où doivent se rendre les usagers.  Un redéploiement du réseau dans le sens de la demande les remplirait.

Une généralisation de la priorité des bus et trams notamment aux carrefours à feux permettrait d’augmenter leur vitesse commerciale, donc de diminuer le cout d’exploitation tout en augmentant l’attractivité, donc les recettes provenant des usagers.

Une action sérieuse s’impose également en vue de l’adéquation de la taille des véhicules à la demande de transport.  Même si aux heures de pointe à l’approche de Bruxelles (soit très peu par rapport à l’ensemble des trajets) on voit des trains bondés, on voit surtout à longueur de journée des trains de dix voitures avec deux locomotives pour en véhiculer une centaine de personnes ou moins.  Et des bus articulés qui ne ramassent pas plus de dix voyageurs sur l’ensemble de leurs parcours.  L’enjeu est d’importance, non seulement financier, mais encore plus énergétique : ces véhicules consomment parfois par personne transportée plus qu’une voiture !

*

Tout ce qui est dit ci-dessus est facile à réaliser : qu’attend-on ?

La gestion des infrastructures dépend des autorités politiques, fédérales, régionales et communales.  L’offre publique de transport dépend aussi des autorités, au moins en principe, parce que c’est bien elles – c’est-à-dire les contribuables qui les mandatent – qui la financent.

En tant que responsable politique, il ne suffit pas de décréter, dans le genre « on va réduire de 30 % le trafic routier », ou « je veux doubler le nombre de voyageurs sur le rail » : il faut agir pour atteindre des objectifs.

Au nom de l’intérêt général, il est temps de prendre en mains la conception et la gestion des transports, abandonnés aux mains des opérateurs, véritables « états dans l’état ».

Pour l’infrastructure routière, c’est direct : le gestionnaire de la voirie a tout pouvoir d’agir.  S’il ne le fait pas il ne peut pas renvoyer la balle.

Pour l’offre publique de transport (i y a aussi une offre privée qui, elle, se développe, notamment dans les voitures partagées et les trottinettes), c’est moins évident : ce sont bien les opérateurs qui s’y collent.  Comme ils sont aussi publics, il n’y a aucune raison qu’ils ne jouent pas le jeu.  Et pourtant…

Même avant le départ du Ministre de tutelle, la SNCB se désengage de son contrat de service public, sûre qu’elle est de rester impunie[1].  Ce contrat est pourtant bien généreux pour elle, nombre d’opérateurs privés étant à même d’offrir mieux pour moins cher, tout simplement en étant efficaces (voir les autres pays).

C’est bien là que le bât blesse.  Même en supposant qu’il soit respecté, le contrat n’est pas du tout à la hauteur en matière de principes d’efficacité, comme par exemple ceux évoqués ici.  Pour y remédier, il faudrait faire appel à un professionnalisme, qui fait défaut chez les politiques (bon, ce n’est pas leur rôle, mais ils devraient faire appel à des experts), mais également, en Belgique en tous cas, chez les opérateurs de transport (auxquels font appel les politiques, ce qui nous fait tourner en rond).

Bref les autorités publiques qui clament qu’il faudrait une politique plus efficace – ils ont raison – ont tout le loisir de faire ce qu’il faut :

  • Gérer les infrastructures dans le sens d’optimiser leur efficacité en termes de transport de personnes et de marchandises
  • définir, avec des experts indépendants, des contrats définissant clairement un service de qualité efficace. Les opérateurs de transport sont là pour le mettre en œuvre, selon des principes de bonne gestion, ce que nombre d’entreprises sont capables de faire… si elles une raison de le faire.

[1] Sur le site SNCB :
« Le contrat de service public de la SNCB précise pour une période définie la manière dont la SNCB accomplit les missions de service public qui lui sont assignées. Il définit, entre autres, le montant des subsides alloués par l’Etat belge pour pouvoir garantir l’exécution de ces missions de service public ».

« Le 23 décembre 2022, nous avons conclu avec le gouvernement notre nouveau contrat de service public jusqu’en 2032.

Comme dans tout contrat, notre contrat de service public est contraignant : il y a des obligations et des droits tant pour la SNCB que pour l’Etat ».

 

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