Le constat
La Région wallonne a commencé et poursuit le développement de lignes d’autobus express.
Avec maintenant 25 lignes, on commence à voir se déployer l’embryon de ce qui pourrait devenir un réseau interurbain complémentaire à celui du chemin de fer, qui, nonobstant son étendue, présente de nombreuses lacunes, surtout au sud du pays.
Continuons dans cette voie. En veillant au choix des lignes (en complément, pas en concurrence des lignes de train) et au niveau de desserte : un cadencement horaire devrait être la norme, pour la qualité et la lisibilité de l’offre, facteurs importants pour capter la clientèle.
Ceci dit, l’objectif des transports en commun doit être de permettre les déplacements de porte à porte, aussi de et vers les villages. Et à cet égard la Wallonie rivalise plutôt avec les pays sous-développés : beaucoup de villages ne voient passer que deux ou trois bus par jour du lundi au vendredi seulement en période scolaire. Certains un bus par semaine, ou pas de bus du tout, malgré leur importance. Et de fait les bus wallons, en dehors des grandes villes, ne transportent plus que quelques écoliers, laissant échapper un potentiel de clientèle quatre fois plus important (les écoliers représentent à peine un quart des déplacements tous modes confondus) : la part de marché des TEC est devenue insignifiante.
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En fait la desserte de la Belgique n’a jamais fait l’objet d’une réflexion d’ensemble.
Au début était le train. Puis le tram, électrique dans quelques villes, à vapeur puis parfois électrique aussi à la campagne, mais dans quelques villages seulement, parce qu’il coûtait très cher. L’avènement de l’autobus aurait pu sauver la mise ; de nouvelles dessertes ont en effet été créées, mais sans réelle vue d’ensemble. Le réseau et le service de transports en commun en Belgique s’est développé ainsi.
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En 1984, pour le train, est arrivé le « plan IC/IR ». L’idée, portée par un ministre qui voulait laisser sa marque, était d’instaurer un service cadencé de trains rapides (85 km/h) entre les grandes villes, semi-rapides (65 km/h) entre toutes les villes ; du moins, évidemment, celles reliées par le rail. Parallèlement les trains omnibus devaient soit disparaître, soit répondre à cette même cadence horaire – que ce soit en ville (exemple : Watermael) ou dans la moindre petite gare au milieu de nulle part (Florée, …). Comme l’enveloppe budgétaire n’était pas illimitée, beaucoup d’arrêts ont disparu à cette occasion, spécialement lorsqu’ils avaient le malheur de se situer sur une ligne non électrifiée (parce que, déjà à l’époque, les responsables de la SNCB n’aimaient pas les trains diesel) et/ou en dehors de la sphère d’influence du Ministre : ainsi tous les arrêts hors ville ont été sacrifiés sur la ligne Bruxelles – Tournai, alors que la parallèle Bruxelles – Courtrai y a échappé. Près de Florée, l’important village de Braibant est, lui, snobé par les trains qui y passent sans arrêt. Quelques lignes ont aussi disparu, surtout en Wallonie ; tout le sud du Luxembourg aurait dû passer à la trappe, mais Bertrix – Virton a été sauvegardée (sans ses arrêts), parce qu’il y avait aussi à l’époque un ministre du côté de Virton.
Il en a donc résulté un service ferroviaire à deux vitesses, non fondé sur des critères objectifs. C’est de celui-ci qu’à l’heure actuelle il reste de larges traces, avec cependant la suppression de presque tous les trains interurbains rapides : les « IC », dont le terme a été galvaudé pour désigner des trains lents, voire très lents (certains s’arrêtent carrément partout ou presque : le trajet IC Bruxelles aéroport – Charleroi, une bonne soixantaine de kilomètres, prend une heure trente-cinq minutes, à 40 km/h de moyenne).
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Bien plus tard, pour le transport local, qui avait été régionalisé, la Flandre a pris une initiative innovante et très porteuse, avec un décret « basismobiliteit » (mobilité de base). Selon ses termes, des critères objectifs devaient présider au niveau de desserte par autobus, critères largement en hausse par rapport aux pratiques en vigueur, avec aussi un principe de cadencement horaire.
Les transports en commun en Flandre ont fait alors un grand bond en avant.
Rien de tel en Wallonie, où le statu quo a prévalu jusqu’il y a peu – et prévaut toujours pour l’essentiel du réseau.
Hélas, au nord du pays, après des années de bon fonctionnement, le pouvoir de tutelle devenu conservateur a voulu comprimer les dépenses (il est vrai que la barre avait été placée haut, avec ses conséquences financières), en ordonnant une révision fondamentale du service sous le vocable « basisbereikbaarheid » (accessibilité de base). Ce terme, aussi porteur que le précédent, couvre cependant une réalité très différente, au concept très alambiqué, avec quatre niveaux de desserte articulés on ne sait pas trop comment, où les usagers devraient sauter d’un taxi à un bus puis un autre, sans garantie de correspondance, avec des tarifs non intégrés : tout ce qu’il faut pour que plus personne ne prenne les transports en commun. La concrétisation de cette idée plutôt fumeuse est confiée à des commissions locales composées de personnes de compétences très variables, et il en résulte déjà un début de démantèlement du service, variable d’un endroit à l’autre. Des voix s’élèvent pour retarder l’application du décret, inapplicable (et déjà retardé), mais il n’y a pas à l’heure actuelle de réelle perspective positive.
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à Bruxelles aussi existent des critères de distance d’accès à un arrêt de transport en commun, qui ont notamment inspiré le nouveau « plan bus », en cours de mise en place. Cependant il ne suffit pas d’avoir un arrêt : il faut aussi une desserte. Malheureusement le réseau est tronçonné en petits bouts de lignes qui imposent à l’usager pour atteindre sa destination souvent peu éloignée un nombre impressionnant de correspondances, souvent en des endroits sans intérêt : Montgomery, Simonis, Albert, … Il en résulte un inconfort notoire et surtout un temps de parcours souvent rédhibitoire : la vitesse moyenne d’un déplacement de porte à porte avec la STIB est de l’ordre de 8 km/h. Et aussi, souci pour l’exploitant, un nombre impressionnant de bus roulent quasi vides, mêmes aux heures de pointe (lignes 17, 76, 98, …).
Un autre bémol à la desserte de la STIB est la grande variété de fréquences, parfois toutes les 5 minutes, parfois tous les quarts d’heure en pleine journée, demi-heure en soirée, samedi ou dimanche matin ; parfois encore moins ; certaines lignes ne roulent qu’à certaines heures, variables selon la ligne. Il y va de la lisibilité (illisibilité) et la (non-)fiabilité du service, facteurs importants pour convaincre une clientèle potentielle : celui qui, sur base du plan du réseau (au demeurant fort bien fait), décide de prendre le bus 72, … et arrivé à l’arrêt attend trois quarts d’heure, s’empresse d’abandonner la STIB.
S’il est vrai que certaines lignes ont plus de trafic que d’autres, il vaut mieux gérer le problème par la capacité des véhicules (notamment réserver les trams aux plus grands courants de trafic) et, avant tout, la structure du réseau : la faire correspondre à la demande, avec notamment des lignes jointes en ville et éclatées en périphérie, comme dans le temps les 95/96, 63/76, …
Parmi les bonnes pratiques de la STIB : l’information : plan du réseau, horaires aux arrêts, et pas seulement via une app. C’est aussi un important facteur pour convaincre les non-usagers, potentiel de clientèle bien plus important que les seuls habitués. Les autres entreprises belges de transport public pourraient bien s’en inspirer.
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La réponse
Alors, si on veut favoriser les transports publics, discours unanimement proféré par les responsables, que faire ?
La réponse est simple : mettre à plat le service des transports en commun en Belgique – réseaux et desserte -, avec comme critère les besoins des usagers et usagers potentiels. Pas besoin de longues études pour les connaître : celles-ci existent, nombreuses. Et, comme le montrent les exemples à succès à l’étranger, les solutions existent aussi. Elles ne passent pas par des concepts alambiqués, de type à couches (d’où correspondances) multiples ou technologies sophistiquées (navettes autonomes …).
Pour aider : quelques principes pour un transport en commun de qualité.
L’objectif est bien de permettre les déplacements de porte à porte. Tous : pour tous motifs, à tous moments.
Pour couvrir l’ensemble de la gamme de distances (du local à l’international), on est bien obligé de recourir à plus d’une « couche », mais il ne faut pas perdre de vue que le nombre de correspondances pour un déplacement donné doit être limité au maximum, spécialement pour les petits parcours. Avec un réseau bien conçu, les inconvénients des ruptures de charge restent limités : ainsi par exemple on peut joindre un faubourg de Rotterdam depuis un quartier de Forest avec seulement deux correspondances (il en faut autant actuellement pour relier certains quartiers de Woluwe-Saint-Pierre à la gare centrale à Bruxelles !). Les couches doivent donc être aussi peu nombreuses que possible, et être articulées correctement.
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Pour les déplacements à longue distance – internationaux pour ce qui concerne la Belgique – un service de trains « EuroCity », rapides, cadencés dans la mesure où la demande le justifie (et, au vu des échanges internationaux croissants, par air et par la route, le potentiel est très important), faisant arrêt uniquement dans les grandes villes : par exemple Bruxelles – Bâle toutes les deux heures, avec arrêts à Namur et Arlon pour ce qui concerne notre territoire, à vitesse commerciale supérieure à 100 km/h.
TGV et trains classiques sont articulés entre eux, pour couvrir toutes les liaisons, et multiplier les possibilités de déplacements. Exemple : TGV et IC entre Bruxelles et Amsterdam.
Les TGV sont aussi articulés entre eux. Exemple : TGV Paris -Bruxelles prolongé à Cologne toutes les deux heures et, dans l’intervalle, ICE Bruxelles – Cologne et au-delà, doublant la fréquence entre Bruxelles et Cologne.
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Pour les déplacements entre grandes villes (une vingtaine de grandes agglomérations et villes régionales en Belgique) un service « InterCity » rapide, cadencé toutes les heures (demi-heure sur les principaux axes) : le fameux « IC » de 1984, amélioré. Le cas échéant ce service est articulé avec l’international, pour des raisons de cohérence et d’économies : par exemple un Bruxelles – Luxembourg toutes les deux heures, intercalé entre les Bruxelles – Bâle, suffit à assurer la fréquence horaire.
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Pour les déplacements entre toutes les villes reliées par le rail – une bonne centaine -, des trains cadencés toutes les heures (demi-heure en moyenne Belgique), correspondant au concept « IR » du plan SNCB initial, dans la mesure du possible articulés sur les IC, doublant de ce fait la fréquence entre grandes villes.
Trains IR complétés pour les relations non assurées par le rail de lignes d’autobus rapides, cadencées à l’heure, de sorte que le territoire soit doté d’un réseau interurbain maillé complet. Étant donné la souplesse d’un bus, ces lignes peuvent sans détériorer notablement le temps de parcours marquer quelques arrêts supplémentaires bienvenus sur le parcours, à l’instar des nouvelles lignes express wallonnes.
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Il est important de souligner qu’un service intégré tel que décrit ci-dessus permet des économies d’échelle importantes.
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Pour les petits trajets, en ville, des transports urbains dont les lignes sont tracées selon les courants de déplacements, sans négliger donc les centres de quartier, et a fortiori le centre-ville, ainsi que les gares, pour assurer la cohérence du système de transport public dans son ensemble (de Forest aux faubourgs de Rotterdam…). Sont à proscrire des lignes interrompues artificiellement en des endroits inadéquats.
Toutes les villes doivent bénéficier d’un service de transport urbain, à partir d’une certaine taille. à priori on pense au nombre d’habitants – les usagers potentiels -, mais malheureusement l’aménagement du territoire en Belgique, avec la multiplication des zonings d’activité excentrés allongeant les distances, obligent de plus en plus à recourir à des déplacements mécanisés. Si on veut limiter le trafic automobile (et garantir l’accessibilité des magasins, services etc aux non-motorisés), les transports publics doivent apporter une réponse. Ainsi par exemple, Nivelles, qui rassemble 25000 habitants sur 8 km2, avec un centre accessible à pied de presque partout, est flanquée de deux zonings procurant des emplois mais aussi des commerces qui l’étendent à 13 km2, nécessitant de prendre le bus (au demeurant presqu’inexistant). Il en va de même pour de plus en plus de villes plus petites, c’est-à-dire plus ingrates à desservir vu le faible potentiel de clientèle : en Wallonie par exemple Dinant, Ciney, Marche, …
Pour être attractifs, les transports urbains doivent bénéficier d’une fréquence élevée, vu les petites distances, et lisible. à cet égard l’intervalle de 10 minutes est très porteur (même chiffre à mémoriser ; cinq minutes d’attente en moyenne). à défaut, les autres fractions d’heure (1/4 h, ½ h) sont à privilégier plutôt que des valeurs genre 13 ½ minutes ou, pire, des intervalles variables comme souvent à Bruxelles par exemple (bus 36,…).
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En milieu rural (voir aussi article Des transports publics de qualité en milieu rural : c’est nécessaire, légitime, et faisable | Sweet Mobility), on ne peut évidemment pas justifier des services cadencés à l’heure. C’est ce qui a un peu fait la suppression de nombreuses dessertes SNCB en 1984 et l’abandon de la mobilité de base en Flandre, vu son coût élevé. Il faut se préoccuper alors des besoins de déplacements, pour les rencontrer au mieux à l’aide d’un service aussi efficient (« smart ») que possible.
La condition d’une utilisation maximale du bus en région rurale, comme ailleurs, est qu’il conduise les gens (et les ramène ensuite !) où ils doivent ou veulent se rendre, quand ils doivent ou veulent y être, pour tous les motifs de déplacement : école, travail, achats, démarches, visites, loisirs…
Partant de ce principe il est possible de définir pour la desserte des villages un service de transport public assurant une mobilité de base comme suit : relier
- chaque noyau d’habitat (ville et village)
- à la ville la plus proche – et si possible les deux villes encadrantes
- à des horaires permettant les déplacements domicile-travail non atypiques, les déplacements domicile-école, l’accès à la ville aller et retour dans la journée et la demi-journée, ainsi que le retour en soirée en fin de semaine.
Cette mobilité de base nécessite 6 passages par jour en semaine (7 le vendredi), 4 le samedi et 3 le dimanche et, par exemple pour une ligne dont le trajet se fait en une heure stationnement compris, l’engagement de 2 véhicules en semaine et 1 le week-end.
De la sorte, en ne se focalisant pas uniquement sur la clientèle scolaire, on quadruple le potentiel des transports publics.
Ce raisonnement est aussi valable pour le rail, qui peut assurer une desserte du même type, non pas seulement aux quelques rares arrêts que la SNCB n’a pas supprimés, mais au contraire à tous les endroits pertinents : anciens, mais aussi nouveaux arrêts. Les techniques (train-tram) et modalités d’exploitation (horaires adaptés, exploitation à un agent) modernes permettent à moindre coût un service bien meilleur que l’actuel. Le volume de clientèle, et donc les recettes, peuvent ici aussi être considérablement accrus.
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En conclusion, on voit aisément qu’il est possible de doper considérablement l’usage des transports en commun en Belgique avec peu de moyens financiers, à l’aide de formules simples, qui ne requièrent en définitive que du bon sens et du professionnalisme pour la conception du service au public. Une noble tâche pour les autorités responsables des transports, qui ne pourraient que se féliciter du succès des initiatives qu’elles mettraient en œuvre… et se faire féliciter par leurs électeurs.