Après les communales, on est retourné aux urnes ce 26 mai, cette fois-ci pour les européennes, les fédérales et les régionales : la totale. Les résultats sont là, avec une sensible poussée verte, signe d’une prise de conscience croissante que notre planète ne supportera pas éternellement nos ponctions à outrance sur ses ressources.
Maintenant il faut transposer en termes de politiques concrètes les idées émises durant la campagne et validées par les électeurs. Il est donc opportun de rappeler ce que nous disions il y a quelques semaines, concernant la mobilité : une série de propositions concrètes …
Nous ne nous étendrons pas sur le diagnostic, sur lequel tout le monde s’accorde : accessibilité en baisse, impact sur l’environnement en hausse constante, problèmes de sécurité, sans oublier que le coût global de notre mobilité est exorbitant.
Il ne doit pas y avoir d’hésitations quant à la réponse : appliquer les remèdes qui permettent une amélioration de l’accessibilité tout en réduisant son impact, ce en privilégiant l’efficience. Ceci doit être l’objectif.
Contrairement à ce qu’en pensent certains, ce n’est pas la quadrature du cercle : les formules sont connues et éprouvées, appliquées le plus souvent à l’étranger. Nous allons en rappeler quelques-unes ici.
Mais avant, il est primordial d’énoncer une condition fondamentale spécialement pertinente en Belgique, où le morcellement des compétences atteint un niveau difficilement surpassable : pour mener une politique de mobilité il est impératif de prendre des actions cohérentes entre elles et cohérentes avec l’objectif. Les élections simultanées qui ont eu lieu, portant sur les trois niveaux de pouvoir les plus importants pour ce qui nous concerne, sont une occasion unique d’enfin commencer quelque chose.
Revenons-en aux mesures concrètes à prendre.
Avant de parler mobilité proprement dite, il faut veiller à ne pas créer artificiellement de besoins, qui génèrent des transports et déplacements contraints, imposés. Les réponses passent par l’aménagement du territoire, en respectant quelques principes de base comme la multifonctionnalité des quartiers, l’arrêt de la dispersion de l’habitat – dont la Belgique s’est fait une spécialité ô combien nuisible – et des activités : combien de zonings au milieu de pâquerettes n’ont-ils pas vu le jour ces dernières années et ne continuent-ils pas de voir le jour, avec satisfecit des autorités qui en sont responsables ? Il faut au contraire réhabiliter les friches situées près des voies de communication naturelles.
Il s’agit d’une compétence régionale (puis communale).
Ceci étant, il faut assurer au mieux l’accessibilité.
Au risque de heurter certains tabous, commençons par le financement.
Le subventionnement des voitures-salaire et leurs cartes carburant, spécialité belge – que au demeurant nous reprochent les instances internationales -, est à la fois très dispendieux, inique (ce sont ceux qui n’en bénéficient pas qui les financent via les impôts), et grand générateur des problèmes qui nous occupent. La réponse est donc évidente : le supprimer tout simplement, et redistribuer la recette – considérable – à l’amélioration des alternatives de mobilité et surtout un allègement de la fiscalité sur les revenus du travail, pour que les « bénéficiaires », eux aussi en fait victimes du système, puissent avoir le choix de l’utilisation de leur argent.
Il s’agit d’une compétence fédérale.
Deuxième axe : instaurer une redevance intelligente d’usage de l’infrastructure routière, compensée par une réduction des taxes fixes frappant les voitures. Intelligente signifie modulée selon le lieu (autoroutes, villes, …), le moment (heures de pointe, …), et le véhicule (impact sur la congestion, voire l’environnement). Avec l’évolution des techniques de localisation, c’est maintenant possible sans infrastructures coûteuses (qu’on met quand même en place à grands frais pour contrôler quelques véhicules polluants à l’entrée de villes ; ce contrôle pourrait aussi bien être fait par le système global). Et – point important – l’idée rencontre une adhésion croissante, notamment des employeurs et de la Febiac, tout simplement parce qu’il s’agit d’une arme efficace contre la congestion, très pénalisante pour la Société et l’économie. Les citoyens ont tout à y gagner, puisque le système concrétise le principe de l’utilisateur- et pollueur-payeur, supprimant le subventionnement des gros rouleurs par les autres. L‘argument social avancé concernant les régions rurales, plus dépendantes de la voiture, n’a pas de sens parce que c’est là que les tarifs seraient les moindres, voire nuls.
Il s’agit d’une compétence régionale, quoique à traiter de manière interrégionale (comme pour les camions) parce que par définition la mobilité s’exerce d’un point à un autre.
Ceci dit, les besoins de financement sont d’autant moindres qu’on ne se lance pas dans des dépenses inappropriées. Le temps des grands travaux est révolu, ne fût-ce que parce que l’évolution des besoins est de plus en plus rapide, ne laissant plus aux grands investissements le temps pour se rentabiliser avant de devenir obsolètes : les dinosaures ne prospèrent qu’en période de stabilité. C’est typiquement le cas des infrastructures de métro, mais pas seulement : par souci de cohérence il faut évidemment arrêter le développement des infrastructures routières et aéroportuaires.
Il s’agit d’une compétence essentiellement régionale, aussi fédérale pour les chemins de fer. L’Europe également doit réorienter le cofinancement d’infrastructures de transport.
A propos de pollution, mais aussi de consommation (et émissions de CO2), il faut évidemment continuer à renforcer avec détermination les normes pour les véhicules. Ceci doit être fait de manière intelligente : par exemple ne pas faire en sorte qu’un véhicule électrique soit réputé non polluant.
Il s’agit d’une compétence européenne, sur laquelle s’appuient des politiques, régionalisées, de subventions ou de taxation différenciée.
Pour ce qui concerne la sécurité dans les transports – de facto, vu les chiffres, la sécurité routière, on notera que la vitesse est un important facteur. La limitation de la vitesse, qui au demeurant a très peu d’impact sur les temps de parcours des automobilistes (d’autant moins que la congestion augmente !) a donc un grand rôle à jouer.
Il s’agit d’une compétence fédérale, régionale, et européenne pour certains types de véhicules.
La concurrence entre modes de transport mérite l’attention, favorisant actuellement les plus problématiques. La concurrence s’exerce essentiellement sur deux critères : la vitesse et le coût.
Pour le coût, déterminé essentiellement par le marché, il revient aux autorités de garantir des conditions équitables entre modes, avec à cet égard notamment la question de la fiscalité sur les carburants aériens.
Cette question ne peut être traitée qu’au niveau européen, et l’U.E. ne doit pas démissionner sous prétexte de mondialisation du secteur : son espace aérien est suffisamment déterminant pour y agir.
Ceci dit, s’il est clair qu’il faut contenir l’accroissement de la mobilité routière et aérienne, il faut également proposer des alternatives crédibles.
Au niveau local, l’aménagement urbain a un grand rôle à jouer dans la promotion des déplacements à vélo et à pied.
Il s’agit essentiellement d’une compétence des communes, mais des normes et des guidances, voire des subventions régionales ont un rôle à jouer.
Pour des distances supérieures, c’est aux transports en commun que revient le rôle important à jouer : comme le montrent des exemples étrangers leur part modale pourrait sans problème doubler. A cette fin il faut qu’ils proposent une offre séduisante. Et contrairement à ce qu’on se plaît souvent à croire (parfois pour éviter de devoir prendre des mesures), il ne s’agit pas essentiellement d’une question de coût, mais bien de méthode. Pour cette raison il est coupable de la part des autorités organisatrices de ne pas s’en occuper.
Quelques principes fondamentaux pour une offre de transports en commun attractive sont :
- Un service complet, aux différents niveaux (local, interurbain, …) pour garantir au client un trajet de porte à porte, quel que soit l’exploitant et l’autorité organisatrice (Etat ou région)
- À cette fin une articulation correcte des réseaux dans l’espace (points de correspondance) et dans le temps (coordination des horaires)
- avec notamment une valorisation de l’infrastructure ferroviaire, notablement sous-utilisée en Belgique ; le RER est un des axes de développement (pour rappel : un RER, c’est faire rouler des trains, pas poser des rails)
- Une tarification intégrée indépendante des opérateurs de transport : un seul billet par trajet, les mêmes prix et réductions
- Des normes de desserte satisfaisantes : distances à l’arrêt, relations offertes, fréquences de desserte), basées sur des critères objectifs
- Une limitation au minimum des correspondances, génératrices de perte de temps, d’incertitudes et d’inconfort ; pour cela limiter le nombre de « couches » de desserte, tracer les lignes en fonction des trajets demandés plutôt que de considérations politiques ou techniques, recourir au train-tram pour atteindre les centres-villes depuis le réseau ferroviaire, …
- Un confort aux points d’arrêt, notamment les gares
- Pour les autobus et trams, des conditions de circulation correctes, protégées de la congestion routière
- Parce qu’il s’agit de convaincre des non-utilisateurs et que tout le monde en est demandeur : un service lisible, avec une information correcte
- Élément belgo-belge pour le ferroviaire, dont le réseau est largement sous-utilisé : l’application d’une tarification efficace de l’usage de l’infrastructure qui en permette une utilisation au bénéfice de tous (aussi les trains locaux)
L’autorité responsable doit imposer des contrats de gestion ou cahiers des charges garantissant que l’usager bénéficie d’un service à la hauteur des compensations publiques dont bénéficie l’exploitant.
L’attractivité n’est pas antagoniste d’un souci d’efficience. Quelques principes fondamentaux :
- Le choix du mode et des infrastructures en fonction des besoins de transport, pas de prestige : éviter les gares de chemin de fer pharaoniques, les métros où un tram performant suffit amplement, …
- Au sein de chaque mode le choix des convois et véhicules en fonction des besoins : longueur des trains non surdimensionnée, train-tram, autobus à capacité réduite, …
- Le recours à des modes d’exploitation modernes et performants, notamment pour le ferroviaire
… et deux facteurs d’attractivité aussi générateurs d’efficience :
- une tarification efficace de l’usage de l’infrastructure pour une utilisation optimale
- Pour les autobus et trams, des conditions de circulation protégées de la congestion
Par rapport à la situation actuelle en Belgique des économies considérables sont possibles dans la conception et l’exploitation des transports en commun, au bénéfice de tous.
Il s’agit de compétences fédérales pour le chemin de fer ainsi que la coordination, et régionales pour les autres modes.
Les responsables politiques ont en matière de politique de mobilité un rôle à jouer considérable, jouable – les moyens techniques et financiers sont disponibles -, et porteur : le citoyen-électeur attend des solutions. Et, comme dit au début, la conjonction des trois principaux niveaux de pouvoir ne permet pas de se réfugier derrière la sacro-sainte formule “c’est pas ma faute, c’est la compétence de l’autre” pour ne rien faire…
Donc « cessons d’en parler et faisons-le ».
Et évitons la fuite en avant vers des gadgets inappropriés et coûteux dans le genre transport à la demande, minibus de centre-ville découplés du réseau, parkings-relais en ville, où le terrain est rare et cher, modes « révolutionnaires » (la voiture autonome arrivera d’elle-même : pas besoin de l’attendre pour résoudre les problèmes, parce qu’elle n’en résoudra presque qu’aucun : elle n’échappe pas aux lois de la physique ni de l’économie).
Les citoyens-contribuables attendent..
(à suivre)